Pour Henry Buzy-Cazaux, président de l'Institut du
Management des Services Immobiliers
, certaines dispositions
prévues par la loi sur le logement de Cécile Duflot rappellent
à quel point la profession est en retard sur le numérique. Et
même avec ce texte, il restera encore beaucoup à
faire… 

« Au rang des bouleversements qui agitent le pays, les nouvelles
obligations d'information des acquéreurs de lots de copropriété
viennent en bonne place. On a même eu le sentiment à écouter
les déclarations de certains, parmi les représentants des
professionnels mais aussi parmi les observateurs, notamment
journalistes, que le marché se verrouillait sous l'effet de
l'application de cette disposition de l'ALUR, et qu'elle était
au moins aussi délétère que la crise économique…

Une raison à ces réactions, tout à fait compréhensibles : les
acteurs, agents immobiliers, notaires, syndics de copropriété,
ont réagi avec leurs codes actuels. Ils fonctionnent avec du
papier, des transmissions par courrier, sinon par courrier
recommandé, avec force photocopies. Bref, les ventes, qu'il
s'agisse des avant-contrats ou des réitérations devant officier
ministériel, fonctionnent comme il y a dix, trente ou cinquante
ans. Tout au plus le mail est-il venu apporter un peu de
fluidité… On vous soumet ainsi les projets d'acte, les devis
de diagnostic ou encore les offres d'achat en amont, et
d'ailleurs la plupart de ces gestes ne sont peut-être pas
entourés de la sécurité juridique nécessaire. Nous sommes
archaïques.

Quand le président d'un grand réseau de franchise ou celui
d'une grande fédération disent de façon provocatrice vouloir
faire livrer devant le ministère des dizaines de promesses et
de compromis de vente avec leurs annexes pour montrer que la
loi ALUR alourdit jusqu'au kilo les actes, ils ont raison.
Avouez juste que leur menace serait ridicule si tous les
documents tenaient sur une clé USB : un carton de clés USB
n'entraverait pas beaucoup la circulation rue de Varennes dans
le 7e arrondissement de la capitale… Nous éprouvons les
limites de notre modèle immobilier, marqué par la preuve
physique et par le papier, alors que le monde alentour a changé
de paradigme.

Avouez aussi que si tous les documents étaient dématérialisés
et dûment classés, au cabinet du syndic, à l'agence
immobilière, chez le diagnostiqueur et le mesureur, chez le
notaire, le clic se substituerait à la recherche du dossier
dans la salle d'archives, à la copie, à la mise sous pli, à
l'envoi à la poste. On m'objectera du côté des professionnels
-si, si, je l'ai entendu – que les facturations ne seront plus
possibles, et que l'équilibre des entreprises en sera affecté.
Pourquoi ? Lorsque ma banque me télétransmet un relevé, le coût
de l'opération m'est débité à l'identique… Lorsque mon expert
comptable acquitte en mon nom un impôt par télépaiement, son
service n'est pas gracieux. Le service m'est seulement rendu
mieux et plus vite, et je le paie d'autant plus volontiers!

La loi ALUR appuie où ça fait mal, mais elle propose aussi des
remèdes. Pour l'activité de syndic, elle en comporte deux
importants. D'abord, les syndics professionnels vont devoir à
partir de l'an prochain mettre à la disposition de leurs
clients un extranet, comportant l'essentiel des informations
sur la copropriété. Ensuite, ils pourront si le syndicat des
copropriétaires le décide, dématérialiser des actes majeurs,
tels que les lettres de relance et de recouvrement des charges.
La vie des copropriétés va en être transfigurée, avec plus de
transparence, plus de fluidité, plus d'efficacité. Au passage,
on note que le copropriétaire, à qui la loi du 10 juillet 1965
ne reconnaît pas d'existence (seul existe la communauté qu'est
le syndicat de tous les copropriétaires) se met à exister…
L'internet bouleverse la conception juridique même des choses.

Les relations locatives et l'activité de gérance ont de ce
point de vue été oubliées par le législateur. Pour autant,
nombre d'administrateurs de biens réfléchissent – s'ils ne
l'offrent déjà – à la consultation en ligne des comptes, pour
le bailleur comme pour le locataire, l'envoi en ligne des avis
d'échéance et des quittances ou l'envoi des devis de travaux.

Ces réflexions emportent trois conséquences. La première, la
plus exigeante, tient au changement des mentalités. Il faut que
nous considérions que l'Internet est un média à part entière,
porteur d'autant de sécurité sinon plus que les autres, fiable,
confidentiel. Il faut d'ailleurs qu'il présente toutes ces
qualités pour qu'on les lui reconnaisse, ce qui n'est pas
encore toujours le cas… Au passage, les professionnels
négligent que la conversion des esprits et des pratiques se
fait à marches forcées, non seulement chez les jeunes, tombés
dans la potion à leur naissance, mais également chez les
séniors, qui ont vite compris combien l'Internet pouvait leur
recréer un espace social. Entre les deux, les actifs sont pour
la plupart dans le mouvement, recourant sans cesse aux
tablettes et téléphones intelligents.

Il faut ensuite que le déploiement du très haut débit,
condition technologique pour que les énormes volumes de données
puissent circuler vite et bien, ait lieu rapidement. Nos
immeubles, où nous vivons et travaillons, dans lesquels sont
installés les agents immobiliers, les administrateurs de biens,
les notaires, doivent être fibrés dans les meilleurs délais.
Cela passe notamment par la démarche volontaire des assemblées
générales de copropriété, appelées à voter le raccordement des
immeubles collectifs existants.

Enfin, les professionnels doivent être formés à l'usage des
nouvelles technologies de l'information et de la communication
(NTIC) : cette acculturation se fait à bon compte, s'agissant
de l'utilisation d'un outil qui a vocation à être convivial. Ce
sont plutôt des réflexes à acquérir que des méthodes ou des
procédures à part entière.

Le bénéfice à tirer de ces évolutions n'est pas seulement dans
la qualité du service. Il est aussi, surtout, dans la
modification profonde du lien entre professionnels de
l'immobilier et particuliers. Le lien à venir sera un lien de
confiance, alors qu'il est encore régi par un clivage
antédiluvien entre ceux qui détiennent l'information et la
connaissance, et les autres. » 

Henry Buzy-Cazaux

Source: La loi ALUR fait changer les professions immobilières d’ère